PATRIMOINE AFRICAIN, LE RETOUR AU PAYS :
RESTITUTION, DON, ACQUISITION…
Comme de nombreux pays occidentaux, la France a des collections africaines, moyen-orientales, extrême-orientales et des Océans Indien et Pacifique principalement liées à son empire colonial déchu. L’histoire de chaque pays, à travers les objets qui y sont rassemblés comme autant d’attributs de puissance, existe dans presque toutes les civilisations et pays du monde. Il s’agit bien là d’acquis, quelles qu’en soient l’origine. Et c’est bien là le problème, l’origine : vol et pillage, tribut de guerre, dons libres ou forcés, acquisitions honnêtes ou frauduleuses, spoliation ?
Bon gré mal gré, une restitution se fera dans un futur plus ou moins proche. Ou plutôt un succédané de restitution, essentiellement sur quelques objets symboliques avec beaucoup de gesticulations politiques. Et, nous l’espérons, sur les objets qui ont le plus de valeur symbolique et esthétique pour le pays. Tant sur le fond et sur la forme, il y a et aura matière à discussion d’un processus interminable dans lequel s’inscrit en ligne rouge la « réparation » elle-même difficile voire impossible à envisager.
À ce problème politique de la restitution, se posent la permanence du marché de l’art rituel africain de plus en plus inaccessible à l’Afrique et l’enrichissement continuel des collections tant publiques que privées dans les pays occidentaux. Des actions plus immédiates peuvent être menées avec efficacité dans ce domaine.
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Amoralité et anachronisme
Quand les musées occidentaux du monde entier comme celui Musée du Quai Branly veulent combler les manques de leurs collections, il s’agit là d’amoralité ou pour le moins d’anachronisme. Même si la France (ou les USA…) a effectivement les moyens financiers de le faire. La France comme aucun pays occidental n’est le résumé du monde sinon à perpétuer l’idée de pensée universelle difficilement conciliable avec une pensée moderne non globalisante, une pensée mosaïque qui transporte le “là” en “ailleurs” : ici à Paris et là à Bamako. Chacun participe par son propre patrimoine et celui, extérieur, qu’il a rassemblé au fil des siècles, à cette notion de patrimoine commun du monde, dit ainsi pour ne pas le restreindre au label « patrimoine mondial » que l’Unesco attribue à sa façon.
Ces musées d’Occident pleins à craquer doivent cesser de croire que tout doit passer par leur filtre unique pour comprendre le monde et en définir le futur.
« Acquérir pour restituer aux pays d’origine »
J’avais fait une proposition au Musée du Quai Branly alors qu’il faisait de lourdes acquisitions dans les années 1990, « d’acquérir pour restituer aux pays d’origine ». Ces pays d’origine pouvant devenir prêteurs au Musée du Quai Branly pendant une période à déterminer d’un commun accord, le temps d’une exposition ou celui plus long afin que le pays se dote d’un espace de conservation aux normes internationales, pour les rares qui n’en ont pas. Joli travail de restitution pragmatique. On m’opposa le caractère inaliénable des collections publiques françaises, alors qu’il suffisait de l’inscrire dans un projet de coopération.
Quelle occasion perdue de ne pas pouvoir acquérir et acheter pour les États concernés, la plupart des pièces volées ou aux conditions de sortie du pays douteuses et ainsi les faire revenir à terme dans les pays d’origine aujourd’hui démunis.
Tout comme l’ivoire, il devrait y avoir actuellement une interdiction morale et formelle aux musées occidentaux, de civilisations africaines et autres, de compléter leurs collections par des achats sauf dérogation exceptionnelle. De même, les dons devraient être analysés pour permettre d’en restituer au moins une partie aux pays d’origine.
Restera toujours la nature du destinataire qui peut ne pas être systématiquement un établissement public mais aussi une institution privée encadrée. Beaucoup de chefs d’œuvre appartiennent aux institutions privées. La nécessité de l’engagement privé en matière du patrimoine du passé mais aussi du patrimoine du présent, celui du futur, est probablement la première marque de cette volonté, à l’instar de la Fondation Zinsou du Bénin.
Restitutions, dons et acquisitions sur le marché, il n’est à point douter que si les Africains et les pays africains le désirent profondément, l’inversion des flux et le retour du patrimoine au pays se fera. Comme dans nombre pays d’Orient et d’Extrême-Orient, la Chine et le Japon achètent sur le marché les pièces de valeur de leur pays « acquises » jadis par les Européens puis les Américains, pour les conserver et les montrer dans leurs musées et institutions.
Jean Loup Pivin
Extrait du livre à paraître en février 2019 aux éditions Revue Noire
‘ACTE D’UTOPIE’ 40 ans de projets culturels et urbains en Europe et en Afrique. Naissance d’une ingénierie culturelle.