La bien-aimée Biennale de Dakar 2016
par Jean Loup Pivin, mai 2016
La Biennale de Dakar, la bien-aimée à qui l’on doit tant qu’on lui pardonne tout, ou presque…
changement d’importance
La Biennale de Dakar, pour la deuxième fois, fait appel à des commissaires pour présenter une exposition cohérente et non plus être le résultat d’un ’appel aux talents’ auquel peu d’artistes talentueux répondaient jadis. Sinon quelques avertis comme l’indiscutable Sénégalais N’Dary Lo qui au passage recueillait en tout bien tout honneur le premier prix de la Biennale.
La précédente édition de 2014 a eu un commissariat collectif composé d’Elise Atangana, Ugochukwu-Smooth Nzewi, Abdelkader Damani. Cette exposition, d’un niveau inconnu jusqu’alors, a été un souffle nouveau et a crédibilisé la Biennale qui maintenait comme cette année, une deuxième exposition internationale dans les bâtiments de l’IFAN (aussi nommé Institut Théodore Monod).
Cette année 2016, de nouveau, les commissaires d’une exposition sont devenus un commissaire pour l’ensemble de la biennale : notre cher Simon Njami, co-fondateur de Revue Noire. L’élément le plus visible fut son travail dans l’ancien Palais de Justice, délabré, d’une architecture néoclassique moderne des années ’50, très spectaculaire.
’Réenchantements’ au Palais de Justice
Cette principale exposition, nommée ’Réenchantements’, a été un pari réussi justifiant ainsi ce tournant qui était essentiel à prendre. On y a remarqué particulièrement les œuvres de Kader Attia et Bili Bidjoka. Mais aussi Mimi Cherono Ng’Ok, Nabil Boutros…
Malheureusement, la vidéo n’y a pas trouvé sa forme de présentation : pour le moins faible et ennuyeuse dans une atmosphère de peinture fraiche au white spirit transformant le spectateur en sniffeur involontaire de drogue moins douce qu’il n’y paraissait. Une exposition, c’est vivre un moment, lié à la déambulation dans un espace, seul ou ensemble. La vidéo, ici comme ailleurs, n’a pas encore trouvé son mode de diffusion dans les salles d’exposition muséale ou autre, sauf quelles exceptions liées à des installations spatiales particulières comme le fait Bill Viola. Cette réflexion n’a pas empêché les vidéos de Yoyo Gonthier et Simon Guesh d’être remarquées, la première par l’affirmation d’un univers esthétique onirique et pour Simon, par la déclinaison d’une sourde douleur sensuelle qu’il avait déjà montrée dans un premier film à Bamako. Tous deux troublant la représentation du réel.
’La Maison Sentimentale’ au Manège
Du coté du IN remarqué, c’est l’exposition de Joel Andrianomearisoa, dans la belle salle du Manège de l’Institut Français, concernant son rapport à Revue Noire devenue ’La Maison Sentimentale’. Plus de 130 cadres liés à l’histoire, aux multiples talents d’artistes, évoquaient tour à tour ce que l’on croyait savoir de Revue Noire mais dont on ne devinait pas le poids tour à tour léger et pesant. Face à la multiplicité de l’histoire sensible, 30 mètres de collage de pages blanches, vibrantes au moindre déplacement d’air, ouvertes au futur. Nous ne pouvions que nous y reconnaître. (voir ICI plus d'informations)
Une peinture aux gestes rétrécis à la Galerie Nationale
L’exposition à la Galerie Nationale des ténors de la ’peinture du Sénégal’, était infiniment triste. Cette peinture, propre, dont les sujets – l’Afrique pastorale pour beaucoup, sans parler de peinture calebasse – et ses dimensions étaient destinés à l’appartement ou la villa du bourgeois ou de l’étranger résidant, montraient le rétrécissement de la valeur du geste, voire de la peinture elle-même. La ’dédicace’ à ces talents devenait si difficile qu’elle troublait la raison de leur notoriété de jadis.
Le rapport du corps dans les expressions plastiques
Que je dise cela est d’autant plus douloureux que je suis convaincu de la permanence de la force de la peinture, du rapport du corps dans les expressions plastiques : de l’initiation bariolée d’un autre réel que celui des mots et de la raison par la forme, par le monde des formes. Sans passage pesant par l’intellect souvent réducteur dans l’acte artistique, surtout quand il s’affirme plus que la forme produite. Certes, l’évidence de la Modernité nie la valeur même de la peinture mais nous ne sommes plus au début du siècle dernier. Cette remise en question n’a jamais empêché la peinture d’exister sous sa forme essentielle, le geste, le support, le passage d’une vision, d’une connaissance du réel, de son temps : le tout perceptible au premier regard. Oui tout cela peut être remis en question par la juxtaposition de ces peintres jadis stars du Sénégal.
Torpeurs aux Village des Arts
De même que le Village des Arts induisait une vision générale de torpeur, de temps arrêté, malgré la belle installation accueillante d’El Hadj Sy. Mais même lui, s’il nous surprenait par son travail précieux de souwère (peinture sous verre), le geste inspiré et fugace sans support était perdu. Je retrouvais un certain nombre d’artistes prometteurs il y a plus de vingt ans, comme Djibrill André Diop à la ferraille toujours aussi généreusement assemblée, pliée et soudée. Ses pièces quand elles échappent à la figuration, montre la jubilation de la sculpture. L’atelier de Serigne Baye Camara était fermé, cet autre artiste presque timide dont l’œuvre m’a toujours touché. Mais malgré tous ces talents - dont le seul photographe du groupe Touré Béhan -, le village semble atone quand on fait le myope. Devant les ateliers, les artistes assoupis au son d’une radio locale, vous accueillent comme des marchands maladroits d’une galerie de misère peu en rapport avec l’atelier de l’artiste. On attend qu’une nouvelle page soit tournée par ceux-là même qui ont conçu the Village des Arts. Sans autre chefferie que le courant d’air collectif intégrant de nouvelles générations. En 2018 ?
La magie de ’La Cour de Joe Ouakam’
Pourquoi ne retrouve-t-on pas, au Village des Arts, la magie de la ’Cour de Joe Ouakam' (aussi appelé Issa Samb) toujours présente et ouverte à qui sait y entrer. L’esprit y règne, le même depuis plus de vingt ans, toujours aussi inspiré et inspirant. Le personnage de Joe y participant pleinement.
Du coté des espaces OFF
Parmi la foultitude d’espaces OFF, celui d’Aïssa Dione avec ses jeunes peintres redonnent envie de peinture. Comme les peintures joyeuses de l’univers imaginaire de Soly Cissé qu’il venait de réaliser depuis son hôpital, rassurant tout le monde sur son élan vital, présentées chez le céramiste Mauro Petroni.
La désorganisation de la biennale
Reste maintenant le principe même de la Biennale de Dakar. Personne ne remet en question son rôle de rendez-vous – essentiel peut-on affirmer - de la création africaine depuis plus de vingt ans. Tout le monde salue l’engagement du Sénégal dans cette manifestation financée par l’État, à la différence du Mali et de ses Rencontres Photographiques qui sans l’Institut Français n’existerait pas. Par contre, on a l’impression qu’au niveau de l’organisation, cela va de plus en plus mal. Alors que Rémi Sagna et Ousmane Sow Huchard et leur successeurs immédiats sont parvenu pendant les années ’90, de naissance de la biennale, à palier les carences de l’administration étatique, par je ne sais quel miracle d’engagements personnels, on pouvait croire que tout allait s’améliorer, alors que tout se dégradait. La réputation était devenue de plus en plus calamiteuse sur le non-retour des œuvres quand elles arrivaient à être dédouanées et exposées, sur les invitations de dernière minute, d’un accueil de plus en plus léger voire inexistant, de programme inaccessible.
Le bricolage d’une gestion étatique
La plupart des installations, comme celles de Bili Bidjoka à Kader Attia n’ont pu se faire que parce les artistes eux-mêmes payaient les matériaux et leurs assistants. Pume était bien là, dépité, en quelque sorte sans Bylex, puisque sans ses œuvres.
Je devais faire une intervention : où, quand, comment ? Je ne savais. Colloque international invraisemblable de désorganisation avec des responsables qui ne savent même pas à qui s’adresser, des invités non invités, des colloques uniquement en anglais parce qu’il n’y avait pas de traducteur. Il semblait qu’il n’y avait pas de pilote dans l’avion.
La liste est longue et je n’ai pas l’intention de la dresser. Le tout peut être intégré comme un mépris des artistes, des visiteurs et des professionnels, alors que l’on sait qu’au sein même de l’administration tout le monde fait ce qu’il peut dans le cadre de ses compétences et de son temps compté. Sans parler de l’argent débloqué à la veille de la manifestation et obligatoirement mal géré dans l’urgence.
Capitaliser ce formidable engouement
Dommage qu’avec une telle image, une telle attente, une telle présence de sommités de l’art du monde entier, avec un tel off probablement à hiérarchiser, le Sénégal ne capitalise pas ce formidable engouement, mais au contraire le détruise. Sa gestion étatique - qui n’existe nulle part sauf à la Biennale de La Havane - remet en question sa crédibilité et interdit tout autre forme de financement. Car aucune fondation et institution comme l’Union Européenne ne financera un État pour ce genre d’action. Elles aident, créent des partenariats avec une association ou d’autre forme d’ONG non étatique.
Pour la survie de la biennale
Dommage en tous points de vue, cette obstination à transformer des fonctionnaires en organisateurs professionnels réactifs. Ce qui peut faire dire que la survie de la Biennale ne viendra que soit dans son externalisation à une structure tiers sénégalaise avec un droit de regard sur la probité de sa gestion, comme cela est demandé depuis le premier jour, soit avec un État qui continue mais arrête de faire croire qu’il sait faire. Comme à Cuba, avec un comité qui choisit des artistes du monde entier, qui ensuite doivent se débrouiller seuls pour payer leurs productions, le transport des œuvres et leurs séjours. Toute fois deux assistants leur sont attribués dès l’arrivée pour les accompagner dans l’accrochage ou la production. Mais ce qui existe là, conçu à l’époque des années ’60 d’une biennale alternative liée ’aux pays non alignés’, peut-il se reproduire aujourd’hui ? Il y a peu de chance.
Une vitalité bien présente
Combien de fois ai je entendu : ’Allez, c’est l’Afrique’. Quand est-ce que l’on n’entendra plus cette exclamation condescendante et fondamentalement fausse ?
Une conclusion bien terre à terre alors que l’on devrait se satisfaire de ce qui existe, en saluant tous les aspects merveilleux. Le continent africain a besoin d’éléments positifs incarnant sa modernité qu’aujourd’hui principalement, voire uniquement, la création artistique incarne. Qu’un pays, le Sénégal, s’investisse dans la propagation de sa vitalité reste à célébrer. Mais qu’il en finisse avec le bricolage organisationnel.
par J.L. Pivin, mai 2016